Un cadeau de Noël empoisonné

Un cadeau de Noël empoisonné

Publié le  par Alain Bringolf dans Gauchebdo

Le Conseil d’Etat vient d’annoncer une baisse des taux d’imposition des personnes morales et physiques.

Le Conseil d’Etat neuchâtelois n’en finit pas de présenter des bonnes nouvelles dans cette période propice aux cadeaux. La dernière, en date du 23 novembre, consiste à annoncer une baisse des impôts pour tous en 2020. Le taux d’impôt cantonal et communal passera de 10 à 7% (hors taux fédéral). Le canton a fixé la réduction fiscale des personnes morales, qui baissera de 15,6% à 13,4%, concernant l’ensemble des impôts, soit les communaux, cantonaux et fédéraux. Si on prend seulement la part de l’impôt cantonal, les taux prélevés sur les personnes morales se réduisent à chaque intervention du canton. En 2013 ce taux était de 20%, en 2017 de 10% et avec la proposition actuelle il passe à 7%. Ces impôts ne concernent que les personnes morales, et uniquement la fiscalité cantonale. Pour les personnes physiques, le seuil d’imposition s’élèvera de 5’000 francs à 7’500 francs, accompagné par diverses mesures ponctuelles. Autant de mesures qui permettront l’abaissement fiscal annoncé. Le problème est que ce sont les riches et les entreprises qui bénéficieront le plus de ces réductions. Il est bien connu que les indépendants ont davantage de moyens pour obtenir des déductions fiscales légales, alors que le salarié paie ses impôts sur la base de sa fiche de paie. Pour compenser les pertes financières de ces mesures, le Conseil d’Etat vise sur une arrivée massive de nouveaux habitants et de nouvelles entreprises.

Aveuglement du gouvernement

Député du POP, Daniel Ziegler estime qu’ «il s’agit une fois de plus, comme en 2010, d’une fuite en avant dans la même logique néolibérale, qui s’est déjà vérifiée et se revérifiera défaillante. Vouloir être le premier de classe en Suisse romande en ce qui est de l’imposition des entreprises, alors que nous n’en avons pas les moyens et surtout pas besoin au vu de nos autres avantages concurrentiels (niveau des salaires, prix des terrains, main-d’œuvre qualifiée, etc.) est une aberration. De même que de vouloir abaisser l’imposition des plus gros revenus, alors même que les millionnaires et leur fortune se multiplient». Et le Chaux-de-fonnier de préciser que le gouvernement se tait sur les risques. Même si son calcul optimiste devait s’avérer juste, il y aura un décalage temporel d’au moins une décennie entre ces mesures et leurs fruits escomptés. Entre-temps, Daniel Ziegler est convaincu que «nous serons repartis pour un tour de programmes d’austérité – sauf qu’aujourd’hui le canton en est déjà à l’os, qu’il a déjà tellement réduit ses prestations qu’il n’attirera plus personne. Cet aveuglement de nos gouvernants n’est pas seulement consternant, il met clairement en danger l’avenir même de ce canton».

Le loclois Cédric Dupraz exprime la même critique. «Depuis 2013, la fiscalité cantonale et communale sur les personnes morales a progressivement été divisée par deux, ce qui représente une perte cumulée de plus de 500 millions de francs pour les collectivités publiques. La question que l’on est en droit de se poser est la suivante: Où sont donc passées ces sommes colossales? Ont-elles permis une augmentation des salaires? Non, elles ont servi à rétribuer les actionnaires».

Combat pour un impôt juste

Pour le député, la nouvelle charrette fiscale videra une nouvelle fois les caisses des collectivités publiques. La situation est d’autant plus paradoxale que le territoire neuchâtelois – et notamment les Montagnes – sont des créateurs de valeurs ajoutées considérables. Pourtant, les salaires ont stagné ces dernières années et sont parmi les plus bas de Suisse. Le chômage et l’aide sociale restent par contre parmi les plus élevés.

«Assurément le POP se battra pour la réintégration d’un impôt sur les entreprises juste et équilibré. Les modes de consommation des nouvelles générations, l’évolution technologique et la prise de conscience de la préservation de l’environnement modifieront profondément le secteur industriel et notamment horloger ces prochaines années. Il s’agit d’anticiper cette évolution et de diversifier nos stratégies de développement, afin de favoriser des perspectives et de tendre vers une évolution plus respectueuse de l’homme et de la planète».

Le POP n’est pas le seul à se préoccuper des conséquences sociales de la baisse de la fiscalité des entreprises. Le Canton de Berne avait également fait ce choix, mais le projet a été combattu par un référendum lancé par les communes et la gauche. Les citoyennes et citoyens l’ont refusé par 53,6 % des votants ce 25 novembre!

Professeur d’économie à l’Université de Fribourg, Sergio Rossi en rajoute une couche, en estimant que chaque baisse fiscale favorisant les entreprises n’apporte rien au canton, «car les économies réalisées permettent d’augmenter les dividendes aux actionnaires ou de réaliser des placements financiers, en valorisant le prix des titres sans aucun fondement dans les activités de production des entreprises sous-jacentes».

Le POP avait envisagé de lancer un référendum si la baisse de la fiscalité des entreprises était décidée. L’exemple bernois pourrait convaincre les militants de se mettre au travail.

Dans cette affaire à rebondissements multiples, une ancienne expression populaire remonte en mémoire: les promesses rendent les fous joyeux!

Alain Bringolf