L’année électorale changera-t-elle notre mode de fonctionnement?

ANALYSE • Il est l’heure d’adopter une transformation radicale de nos sociétés et de nos modes de production et de consommation.

Les votations fédérales se profilent et les partis préparent leurs campagnes. Les revendications citoyennes, comme celles des gilets jaunes en France, se multiplient. Ces nouvelles sensibilités s’expriment en dehors des partis politiques. Avec un mélange de sensibilités et d’exigence, elles font apparaître une crise entre les Etats et les besoins fondamentaux des peuples. A cela s’ajoute la crise environnementale qui est peut-être la menace à prendre le plus au sérieux. Une analyse d’Olivier Bonfond,* économiste rebelle, porte la question suivante: une transition écologique peut-elle se faire avec le capitalisme? Cet économiste souligne que depuis le Sommet de la Terre de l’ONU en 1992, le monde entier sait que «notre maison brûle». Il est techniquement possible de sauver notre environnement, car les technologies actuelles permettraient de se passer complètement des combustibles fossiles et du nucléaire en deux générations. Le potentiel cumulé du solaire thermique, photovoltaïque et thermodynamique, du vent, de la biomasse et de la force hydraulique peut couvrir cinq à six fois les besoins mondiaux en énergie primaire. La destruction des forêts et des autres désastres écologiques pourraient aussi être évités. Pourquoi donc ce tournant écologique n’arrive-t-il pas à se concrétiser? En raison de la logique capitaliste, qui reste dominante au sein de nos sociétés et qui constitue le cœur du problème. Humaniser le capitalisme n’est pas possible Depuis 25 ans on essaie de gérer le problème et le bilan est sans appel: non seulement le capitalisme n’est pas parvenu à freiner le changement climatique, la perte de biodiversité, la pollution de l’air, la destruction des forêts, l’artificialisation des sols, l’acidification des océans et autres joyeusetés, mais toutes ces destructions n’ont fait que s’aggraver et s’intensifier. La logique capitaliste fera toujours passer le profit avant les autres impératifs. Une transition écologique digne de ce nom nécessite des investissements massifs sans rentabilité financière immédiate. Les entreprises privées capitalistes ne s’intéressant qu’aux profits, et donc à la demande solvable, sont incapables de réaliser ces investissements. La plupart des grandes inventions et des grands projets techniques et technologiques ont d’abord été le fruit de l’initiative publique. L’action publique n’est pas parfaite par nature, mais elle est bien plus capable que le privé d’avoir une vision à long terme. Le capitalisme est ce qu’il est, à savoir un modèle de société basé sur le profit, la propriété privée des grands moyens de production, l’exploitation de l’être humain et de la nature, la croissance économique, la compétition et l’individualisme. Sa définition suffit à démontrer l’impasse qu’il constitue. Humaniser le capitalisme n’est pas possible. Le militant de l’éducation populaire Frank Lepage a bien exprimé cette idée: «Moraliser le capitalisme, ça veut dire ceci : vous arrivez dans la jungle, en caleçon, et vous vous retrouvez face à un tigre affamé. Et là vous lui dites: sage, kiki!». Promouvoir des productions socialement utiles La transition écologique ne pourra pas devenir une réalité si l’on ne se préoccupe pas des questions de pauvreté et d’inégalités. Or, malgré une rhétorique de lutte contre la pauvreté, le capitalisme produit et reproduit la pauvreté et les inégalités. Sa logique vise à tout transformer en marchandise: l’eau, la terre, les matières premières mais aussi l’éducation, la connaissance, la santé, l’art, et même l’être humain. Or, il est fondamental de promouvoir les productions socialement utiles et écologiquement soutenables et donc une logique non capitaliste. Bien sûr, des efforts importants peuvent et doivent être faits au niveau individuel pour participer à la lutte contre la destruction de l’environnement et le changement climatique: consommer moins et consommer équitable, trier ses déchets, prendre le train plutôt que la voiture, etc. Ces actions sont utiles et nécessaires, et il faut tout faire pour qu’elles se généralisent. Cependant, réduire l’écologie à une question de pratiques individuelles constitue une grave erreur. Les changements de comportements individuels, aussi important soient-ils, ne seront pas capables d’inverser les tendances actuelles, en particulier parce que les principaux responsables de la destruction de l’environnement, ce ne sont pas les individus mais bien les grandes entreprises capitalistes, via leurs modes de production, mais aussi via les contraintes qu’elles nous imposent en matière de consommation. Donnons un chiffre: 90 entreprises sont responsables à elles seules de plus de 63% des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1850. Socialiser les biens communs et les secteurs stratégiques Une résolution viable et efficace de la crise écologique et climatique passera nécessairement par une transformation radicale de nos sociétés et de nos modes de production et de consommation. Si l’économie de marché pourra continuer à fonctionner dans plusieurs secteurs, à côté de l’économie coopérative qui devrait également jouer un rôle prédominant, tous les biens communs de l’humanité et les secteurs stratégiques (eau, énergie, crédit, éducation, santé, transports, etc.) doivent être mis sous contrôle citoyen et gérés prioritairement en fonction de la sauvegarde des écosystèmes et la justice sociale. Cela s’appelle le socialisme. Et face à ces actions, n’oublions pas de remettre en cause le fonctionnement des actionnaires qui tentent de gagner quelques alors que les intérêts bancaires sont en réduction.

Alain Bringolf

* Olivier Bonfont est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM et de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe).